Il y a 5 jours, j’ai cru perdre Nala. Trois ans, quasiment jour pour jour, après avoir cru que moi aussi, j’allais mourir. Il m’a fallu 5 jours pour digérer cet accident, et si je décide d’écrire sur ce sujet aujourd’hui, c’est avant tout pour me « libérer » et tourner la page. Et si cette expérience peut servir à d’autres, alors tant mieux.
J’ai toujours su qu’un jour, Nala se ferait mordre. Parce qu’elle a un caractère de cochon, qu’elle peut grogner sur ses congénères, leur montrer les dents et même les niaquer (sans avoir jamais mordu aucun chien, toutefois). Je me suis toujours dit qu’un jour, elle rencontrerait un chien à qui son attitude ne plairait pas et qui réagirait en conséquence. En 8 ans, ce n’est pourtant jamais arrivé.
Ce qui est arrivé mardi soir, personne n’aurait pu l’anticiper. Rien ne laissait présager que cela arriverait. Nala a été attaquée par deux grandes chiennes, qu’elle connaît pourtant très bien, qui n’ont jamais montré le moindre once d’agressivité à son égard. Il n’y avait eu aucun signe avant-coureur ce soir-là. Les deux chiennes (en liberté) ont subitement couru vers elle (en liberté également), de face, alors que nous étions dehors (mais sur leur territoire) et qu’elles s’étaient vues dix minutes plus tôt sans problème. L’une des chiennes a attrapé Nala en pleine gueule et l’a fait voler. Nala a hurlé. Je ne sais pas par quel miracle la chienne l’a lâchée. Je ne sais pas par quel miracle elle ne l’a pas attrapée à la gorge.
Sur le moment, j’ai cru que c’était du jeu, un peu trop violent, certes, mais comme Nala est un peu chochotte sur les bords, je me suis dit qu’elle avait dû juste avoir peur et exagérer.
Et puis, j’ai vu du sang. Et de plus en plus de sang.
J’ai essayé de prendre Nala dans mes bras une première fois. A cause de la douleur, elle m’a mordu le doigt. Et c’est là que j’ai compris que quelque chose n’allait vraiment pas, que ce n’était pas du cinéma.
C’est pas vrai. Il n’est pas en train de se passer ce qu’il est en train de se passer. C’est pas vrai.
Que s’était-il passé ? Et surtout, pourquoi ? Pourquoi ces chiennes qui la connaissent pourtant très bien, s’étaient-elles jetées sur la mienne, comme ça, gratuitement alors que tout allait bien ? Par prédation ? Par protection de ressource (leur territoire, leur maître) ? Par compétition parce que nous n’étions que des femelles ? On ne saura jamais…
Ne pas paniquer.
Tandis que le sang dégoulinait partout dans l’évier où nous l’avions mise, je sentais Nala en train de partir. Elle ne se débattait même plus, son regard devenait vide, ses muqueuses devenaient blanches. Et moi, je sentais mes jambes me lâcher. Je luttais pour ne pas m’évanouir alors que l’odeur et la vue du sang, qui coulait en abondance, me donnaient envie de vomir. J’assiste chaque semaine à des chirurgies vétérinaires et ne crains pas de voir des choses « pas belles », mais quand c’est votre propre chien, c’est différent.
J’essayais de rester le plus calme possible, sans paniquer, pour que Nala ne ressente surtout pas mon stress. C’était ce que je voulais absolument éviter. Il fallait que je la rassure, que je reste avec elle, que je rince sa plaie sous l’eau tiède, le plus « normalement » du monde. Dédramatiser.
Je n’ai pas réalisé, ce soir-là, ce qu’il s’était vraiment passé. Je n’ai pas réalisé qu’elle aurait pu mourir. Que la morsure aurait pu atteindre un organe vital, qu’elle aurait pu faire une hémorragie, que j’aurais pu ne plus jamais la revoir.
C’est mon vétérinaire qui l’a sauvée. Il a eu les bons réflexes et je ne l’en remercierai jamais assez. C’est lui aussi qui, le lendemain, m’a fait réaliser la gravité de la situation en me disant « j’ai vraiment cru qu’elle allait mourir« . Et c’est là que j’ai subi le contre-coup du choc.
J’ai pleuré pendant les trois jours suivants. Nala avait « seulement » un muscle perforé, l’infection était maîtrisée, et elle était hors de danger. Mais je continuais à pleurer nuit et jour parce que je me repassais la scène en boucle et n’arrivais pas à penser à autre chose. Et la voir si mal, prostrée, abattue, me déchirait le coeur. Elle ne me suivait plus à la trace, n’aboyait plus, elle qui aboie pour un oui et pour un non. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même.
Elle a failli mourir. Elle a failli mourir. Elle a failli mourir.
J’aurais pu ne plus jamais la voir courir dans les montagnes, à la plage ou dans les bois. J’aurais pu ne plus jamais la caresser du bout du pied comme elle aime tant. Ne plus jamais l’entendre aboyer quand je me gare. Ne plus jamais partager des moments de bonheur intense avec elle. Ne plus jamais m’endormir à ses côtés, bercée par sa respiration. Ne plus jamais plonger mes yeux dans ses yeux et oublier le monde entier.
Je me suis remémoré sa vie entière. Ces 8 dernières années qui ont changé ma vie. J’ai pensé à tout ce qu’on a traversé de pire, à tout ce qu’on a vécu de meilleur. L’horreur de sa première année. Le bonheur de toutes les suivantes.
Et ces images d’elle, si libre, courant dans la montagne à en perdre haleine, si heureuse, me revenaient sans cesse.
J’ai pensé mille fois à sa mort, bien avant même cet accident. Pour anticiper, même si ce n’est pas anticipable. Nala, c’est comme un membre de moi-même, et le jour où elle mourra, ce sera comme une amputation. Je me suis construite grâce à elle, pour elle, avec elle, depuis que j’ai 18 ans. Plus qu’un chien, elle est une partie de moi. Ce que je suis devenue, c’est grâce à elle.
Comme tout le monde, je redoute sa mort, mais je redoute bien plus sa souffrance. Alors je me suis dit que, finalement, si elle avait été tuée par cette chienne ce soir-là, au moins elle n’aurait pas souffert longtemps. Je préfère ça à une lente agonie due à la maladie. Et je préfère une courte et belle vie à une longue vie dont la dernière partie n’est que souffrance. C’est ma philosophie.
Mais Nala n’est pas morte et elle va mieux. Je ne crois pas qu’elle soit traumatisée, et je ne la sens pas différente vis-à-vis des autres chiens. Elle a revu les chiennes qui l’ont attaquée et les reverra encore.
« Les chiens méchants, on les pique », ai-je entendu. Non. Ce ne sont pas des chiens méchants. Ce sont des chiens, avec des comportements de chiens qui, parfois, hélas, nous échappent. Je ne leur en veux pas. Je ne suis même pas sûre que je leur en aurais voulu si elles avaient tué Nala. En tout cas jamais au point de vouloir leur mort à elles, jamais. J’avoue d’ailleurs que j’ai du mal à comprendre les personnes qui réclament l’euthanasie d’un chien ayant tué le leur, même si je comprends qu’elles soient anéanties par la perte de leur animal et le sentiment d’injustice. Mais ce n’est pas ma mentalité.
Et maintenant ?
Maintenant, il faudra que je sois davantage vigilante, mais je refuse d’être hyper-protectrice. Nala est exposée à un certain danger tous les jours, mais c’est un choix de vie. Ce qui est arrivé aurait pu arriver avec n’importe quel chien, n’importe quand, et n’importe où : dans la rue, au bois, à la plage… N’importe quel chien peut se faire mordre par un congénère pour n’importe quelle raison. Et souvent, comme ce fut le cas ce soir-là, on ne peut pas le prévoir. Ce n’est pas à cause de cet accident, aussi choquant soit-il, que je l’empêcherai d’aller se promener en liberté ou d’avoir des contacts (positifs comme négatifs) avec ses congénères. Je ne changerai rien à nos habitudes et l’emmènerai toujours partout avec moi, comme je l’ai toujours fait, tant que cela ne lui nuira pas.
Qu’est-ce que je retiens de tout ça ?
L’important, c’est d’avoir su réagir face à la situation, ce qui a été possible car j’étais bien entourée. Lorsque le sang de Nala giclait, j’ai essayé de me remémorer les démonstrations de premiers secours canins de David Roussin (Humanimal). Je me souviens qu’il m’avait dit : « Même si tu ne te souviens que d’un dixième de ce que je t’apprends, c’est ce dixième qui peut sauver la vie de ton chien. » Je ne peux que vous encourager à suivre une formation de premiers secours pour savoir comment réagir si un drame vous arrive.
Ce que je retiens aussi, c’est que le risque zéro n’existe pas. Faire cohabiter plusieurs chiens, a fortiori de tailles différentes, représente un risque, même avec les plus gentils des chiens. Il ne faut pas minimiser ce risque. Mais il ne faut pas non plus surprotéger son chien.
Enfin, ce que je retiens, c’est que la vie est d’une extrême fragilité. Il suffit d’un rien, et c’est terminé. Je le sais et le constate tous les jours dans mon travail au contact des animaux, mais lorsque cela vous arrive à vous, vous prenez une sacrée claque. Alors maintenant que j’ai retrouvé ma « Nalacheffe », nous allons profiter de chaque instant comme si c’était le dernier. Vivre à en crever.